Tagphu Padmavajra (1876-1935)

Le grand maître géloug Longdol Lama1, qui enseigna à Tagphu Garwang Chokyi Wangchuk, a donné la lignée spirituelle suivante des incarnations des Tagphu :

Le Bodhisattva Dharmati qui fut le disciple de Bouddha Shakyamuni2,
le Pandit népalais Vanaratna,
le maître kadampa Shérab Dordjé,
le Mahasiddha Sewan Repa qui fut le disciple de Milarepa,
Trehor Lobsang qui fut le disciple de Ra Lotsawa,
Chag Choje Pel (Chag Lotsawa),
Sonam Sengé de Throphu,
Terton Zangpo Dragpa,
Chenga Dragpa Jangchug,
Tagphu Gushri Palden Dondrup,
Djé Lodro Tenpa,
le maître sakya Shakya Chogden,
Tagphu Gushri Chogyal Tenzin,
Tagphu Djé Ngawang Chodak Zangpo,
Tagphu Toulkou Lobsang Tenpai Gyaltsen

Bien les incarnations « officielles » des Tagphu aient appartenu à la tradition géloug, la plus grande part de leur expérience reposait sur la méditation en un seul point effectuée dans des lieux isolés et saints en présence des seules réalités spirituelles, à la façon de l'ancêtre spirituel de Tagphu, le Mahasiddha indien Mitrayogin, plutôt que dans les institutions scolaires des monastères et les séances de débat. Pour bien comprendre l'héritage de Tagphu, nous devons d'abord parler brièvement de quelques-unes de ses incarnations précédentes.

Lobsang Tenpai Gyaltsen (1714-1762)

Lobsang Tenpai Gyaltsen, qui fut le contemporain et l'élève du Septième Dalaï-Lama, fut l'une des premières réincarnations officielles de la lignée Tagphu. En 1729, il résidait au monastère Ban-dkar à Nags-shod dans la province du Kham. Il entra à Drépung Loseling en 1732 où il obtint le titre de géshé et compléta plus tard une retraite de trois ans3. Ses écrits ont été conservés en deux volumes.

Il est l'un des plus anciens maîtres gélougs à avoir écrit un commentaire sur la forme Naro Khacho de Vajrayogini, en particulier un texte intitulé mkha' spyod ma'i rim gnyis zab mo'i nyams len qui fut écrit à la demande de Changkya Rolpai Dordjé4. Tagphu Lobsang Tenpai Gyaltsen transmit plusieurs profonds dharmas à Changkya Rolpai Dordjé, entre autres le cycle du Treizième Dharma d'Or des Sakyas et le cycle de Vajrayogini. Tagphu Lobsang Tenpai Gyaltsen reçut également de Changkya Rolpai Dordjé toutes les transmissions qu'il détenait5. Changkya Rolpai Dordjé consigna l'enseignement sur Vajrayogini dans ses écrits secrets (bka' rgya ma) et le transmit à Thuken Dharmavajra qui a beaucoup écrit sur ce sujet. Pabongkha Rimpoché était considéré par beaucoup de personnes, incluant son maître Tagphu Padmavajra, comme une réincarnation de Changkya Rolpai Dordjé. Ceci illustre bien le fait que l'intime lien karmique établit par ces deux maîtres dans leurs vies antérieures est maintenu vie après vie en particulier lorsqu'il s'agit d'une relation de maître à disciple.

Tagphu Garwang Chokyi Wangchuk (1765-1792)

Bien qu'il existe peu de documentation concernant cette incarnation, les effets de ses expériences continuent toujours à influencer beaucoup de gens dans la tradition géloug. Parmi ses maîtres, on compte le Second Jamyang Zhepa et le Cinquième 'On Gyalse Rimpoché6. Un catalogue de ses œuvres complètes a été publié dans le volume 1 de Materials for a History of Tibetan Literature. Ses œuvres complètes contiennent cinq volumes.

Notons que le volume cinq principalement contient un certain nombre d'œuvres scellées par le sceau du secret (bka' rgya ma), ce qui explique l'origine extraordinairement courte de la lignée (nye brgyud) par laquelle il est connu. Parmi ces œuvres, dont des sadhanas sur les Cinq Déités d'Amitayus et sur Gyalwa Gyatso pour ne citer que celles-ci, certaines sont attribuées à Mitrayogin. Il semblerait qu'au cours de cette vie, l'incarnation des Tagphu ait acquis le nom de voyage Gar-gyi Dbang-phyug à cause de ses extraordinaires expériences méditatives.

Presque aucune information n'est disponible concernant les incarnations de la lignée des Tagphu ayant existé immédiatement après Tagphu Garwang.

Tagphu Padmavajra (1876-1935)

Tagphu Padmavajra ('Jam-dpal Bstan-pa'i Dngos-grub) s'identifiait lui-même comme étant le Quatrième Gar-gyi Dbang-phyug si l'on se fie au titre du récit de ses expériences secrètes7. Malheureusement, cette autobiographie n'est pas disponible au moment où nous écrivons ce compte-rendu. La plupart des informations données ici proviennent de la biographie de Pabongkha Rimpoché. La biographie de Pabongkha Rimpoché fournit bon nombre de détails sur la vie de cet extraordinaire maître, en particulier ceux en relation avec le plus connu de ses disciples. Néanmoins, plusieurs années de sa vie demeurent cachées pour l'instant. Mais peut-être convient-il que le lecteur reçoive des expériences mystiques à petites doses et attende de futures révélations conformes à sa vision karmique.

Tagphu Padmavajra est né en 1876 et il est entré au monastère de Drépung à l'âge de 13 ans où il a étudié les cinq grands textes classiques. Il est retourné à Nags-shod dans le Kham à l'âge de 19 ans. Il est revenu au Tibet central à l'âge de 30 ans pour y faire un pélérinage8. Selon le biographe de Pabongkha Rimpoché, Tagphu Padmavajra et Pabongkha Rimpoché avaient un très fort lien karmique tissé au cours de plusieurs vies à la façon des Trois Frères Kadampa (bka' gdams sku mched gsum) de sorte qu'ils se reconnurent dès qu'ils se rencontrèrent. Plus spécifiquement, Tagphu Dordjé Chang se serait rendu au Tibet central et aurait rencontré Pabongkha Rimpoché pour se conformer à une prophétie secrète de sa déité tutélaire. La prophétie disait que ses expériences extraordinaires et ses réalisations augmenteraient rapidement et que ce serait un signe de très bon augure pour la construction d'un ermitage dans la grotte secrète nommée Takden (rtag brtan) près de Chuzang, lieu particulièrement sacré d'Hérouka Yab Youm, et pour la restauration du pouvoir spirituel de ce site grâce à sa pratique de médiation9.

Les disciples de Pabongkha Rimpoché demandèrent plusieurs centaines de fois à Tagphu Dordjé Chang de parler des vies antérieures de Pabongkha Rimpoché, de la durée de sa vie, des années difficiles et des obstacles potentiels qui guettaient Pabongkha Rimpoché. Précédemment, Pabongkha Rimpoché avait cherché quelqu'un qui aurait reçu toutes les instructions sur le Lam Rim en général et sur l'entraînement à la bodhicitta en particulier selon l'enseignement du Second Bouddha Djé Tsongkhapa. Un soir, Pabongkha Rimpoché entendit parler de l'insurpassable Dagpo Lama Rimpoché qui habitait la région de Dagpo. Pabongkha Rimpoché demanda alors conseil à Tagphu Dordjé Chang sur le meilleur moment pour aller rencontrer Dagpo Rimpoché et sur la durée de sa visite auprès de lui. Quelque temps plus tard, après que Tagphu Rimpoché eut écrit une prière pour que Pabongkha Rimpoché puisse demeurer pendant des centaines d'éons, Tagphu Rimpoché eut une vision qui est décrite dans l'un de ses textes protégés par le sceau du secret :

Puis au cours du douzième mois au moment fortuné où les Dakinis se rassemblèrent simplement et spontanément à Chuzang pour un festival d'offrandes. Toute perception conceptuelle du sujet et de l'objet ayant été suspendue, un compte rendu de ces expériences spéciales est fait. Après avoir fait l'expérience d'arriver à la grotte secrète de Lha-mo Mkhar, du côté droit et du côté gauche de la déité principale Hérouka Yam Youm se trouvaient des pandits, des yogis et des yoginis de l'Inde et du Tibet qui se tenaient en ligne pour se prosterner. Étant rempli d'une expression respectueuse, au son bourdonnant des tambours, des cloches et des cymbales le sol se mit à trembler, lorsque le son de la syllabe d'invitation et la récitation tonitruante du mantra eurent commencé, mon corps s'éleva dans l'espace. Me déplaçant en circumambulation en effectuant la marche du vajra, en parole chantant le chant du vajra et expérimentant en esprit une félicité et une clarté non conceptuelles...

Continuant à décrire son expérience, Tagphu Padmavajra raconte d'une manière lucide et détaillée comment il a reçu les quatre initiations auprès d'Hérouka Yam Youm et a vu toutes les déités du Mandala du Corps d'Hérouka aussi clairement que s'il avait vu des étoiles à la surface d'un lac calme. Plus tard, Hérouka Yam Youm prit l'aspect d'un moine pur à qui Tagphu Padmavajra posa les questions mentionnées ci-dessus au sujet de Pabongkha Rimpoché. Il révéla que « la durée de la vie finale de Krishnacharya serait de 63 ans ». Suivent d'autres conseils dont celui que Pabongkha Rimpoché ne devrait pas aller immédiatement rencontrer Dagpo Lama Rimpoché10.

Comme l'avait demandé Dagbrum Jetsunma, Tagphu Padmavajra donna à sept personnes laïques et ordonnées une initiation secrète extrêmement sainte à Vajrayogini. Le soir du dixième jour du mois lunaire, une offrande très élaborée de tsog fut accomplie. Puis, en lien avec le nouveau manuel d'initiation aux stag phu'i dag snang gsang ba bcu gsum que Pabongkha Rimpoché avait demandé à Tagphu Padmavajra d'écrire, ce dernier donna pendant sept ou huit jours à Pabongkha Rimpoché, Ula Toulkou et quinze autres personnes des initiations de permission sur ces treize dharmas secrets. Puis, Tagphu Padmavajra donna à Pabongkha Rimpoché un commentaire sur les Quatre Annotations sur le Lam Rim Chenmo, à l'exception des 20 pages de la fin, la table des matières et l'histoire11. Il s'agit d'une version en deux volumes du Lam Rim Chenmo qui, en plus du Lam Rim Chenmo de Djé Tsongkhapa, contient des annotations des Lam Rim Chenmo de Baso Chokyi Gyaltsen (1402-1473), Jamyang Zhepa (1648-1721), Ngawang Rabten et Rinchen Dondrup12.

Puis, conformément à la prophétie faite à Tagphu Padmavajra concernant la recherche et la restauration de la grotte sainte d'Hérouka, Tagphu Rimpoché, Pabongkha Rimpoché, Sera Mé Gélong Yéshé Jinpa et Sang Youm Rimpoché se rendirent à la Montagne du Parapluie où ils adressèrent des requêtes aux Lamas, aux Yidams, aux Protecteurs et aux Gardiens du Lieu, firent des offrandes de bsangs et érigèrent des drapeaux de prière. Cependant, un corbeau reluisant qui planait dans les airs vint se poser près de Tagphu Rimpoché et Pabongkha Rimpoché en chantant des mélodies d'une voix puissante. Puis, il vola jusqu'à une grotte située au sommet de la Montagne du Parapluie. Il revint à nouveau se poser près de Tagphu Rimpoché et Pabongkha Rimpoché en chantant. Puis, comme il l'avait fait précédemment, il retourna au même endroit. Se rendant compte qu'il leur avait clairement indiqué le lieu où se trouvait la grotte, Tagphu Rimpoché et Pabongkha Rimpoché comprirent que c'était sans nul doute le protecteur attitré d'Hérouka qui leur était apparu sous la forme d'un corbeau pour leur indiquer le lieu où se trouvait le saint palais d'Hérouka. Ils partirent immédiatement pour se rendre à la grotte et virent en arrivant qu'il s'agissait d'un lieu saint possédant les attributs décrits par le Bouddha lui-même. L'endroit était baigné de bénédictions et les roches et les pierres toutes au tour resplendissaient sous l'effet d'expériences yogiques. Tagphu Rimpoché fit l'expérience d'un grand nombre de visions extraordinaires en ce lieu. Ainsi, à cause du pouvoir engendré par l'intime connexion qui existait entre ces deux maîtres et les bénédictions émanant de ce saint lieu d'Hérouka, cette restauration a été rendue possible. À cause de l'interdépendance bénie de ces paroles de vérité, plusieurs milliers de fleurs tombèrent du ciel comme de la pluie. Puis, ils retournèrent à Chuzang13.


La crête de la montagne où se trouvait la grotte secrète d'Hérouka. Photo prise par l'auteur (Trinley Kalsang) en janvier 2005.

Tagphu Rimpoché, Sang Youm Rimpoché, Pabongkha Rimpoché, Demo Rimpoché, Zhide Tazur Rimpoché et un groupe de quinze personnes se rendirent à Dargye Zhikai Ling pour plusieurs jours. Le sommaire des enseignements donnés par Tagphu Rimpoché contient les éléments suivants :

  1. La fondation complète des cinq étapes de l'étape d'accomplissement selon le Guhyasamaja de Djé Rimpoché.
  2. L'explication selon les écrits de Ganden Tagtsang Lobsang Tenpa Dargyé des Six Yogas de Naropa et des exercices physiques les accompagnant.
  3. Une explication sur les bases du lcags mkhar zur bcu drug de Yongzin Lingtrul Rimpoché.
  4. Présentation sur le texte secret Gtor-chen Drug-bcu de Lobsang Chogyan.
  5. Lectures et transmissions du Drug-bcu-ma non-commun selon l'Accomplissement extérieur du Dharmaraja, les instructions non communes sur le Drug-bcu-ma, une présentation de l'offrande de torma et de la pause de la cérémonie de la terre du Drug-bcu selon Yongzin Ling.
  6. Diverses initiations et transmissions des activités liées à Cittamani Tara.
  7. Transmission sur la lecture de la plupart des chapitres du manuel d'initiation du dag snang gsang chos bcu gsum.
  8. L'initiation de longue vie dans la lignée de Thangtong Gyalpo, 'Chi-med Dpal-ster.

Au temple de Zhidé, Pabongkha Rimpoché a donné à un grand nombre de personnes laïques et ordonnées, incluant Tagphu Dordjé Chang et E Lama Rimpoché, toutes les initiations du corps des sadhanas (rin 'byung brgya rtsa). Puis, Tagphu Rimpoché repartit pour Nags-shod dans le Kham14.

À l'âge de 39 ans, Tagphu Rimpoché se rendit à nouveau au Tibet central pour y effectuer un pèlerinage dans diverses montagnes. Alors qu'il faisait une retraite dans la grotte de Gourou Rimpoché à Myang-phug, le langage des signes des Dakinis lui apparut trois fois et il eut une vision de Gourou Yab Youm, de Trisong Detsen et des 25 disciples (rje 'bangs nyer lnga)15. Au cours de ce voyage, Pabongkha Rimpoché invita Tagphu Rimpoché à l'Hermitage de Chuzang et il reçut les enseignements suivants de lui :

  1. Les Quatre transmissions de pouvoir du Mandala du Corps de Chakrasamvara selon la tradition de Ghantapa sur la base du syllabus de Changkya Ngawang Lobsang.
  2. La méditation sur l'accomplissement des activités paisibles et courroucées selon les écrits de Chuzang Lama Djé Yéshé Gyatso.
  3. L'explication de l'Essence du Nectar de l'Entraînement de l'Esprit de Yongzin Yéshé Gyaltsen.
  4. Divers enseignements sur les étapes de développement et d'accomplissement du Guhyasamaja.
  5. L'explication sur la méditation et la récitation du Samayavajra16.

Tagphu Rimpoché reçut à son tour une explication sur les étapes de développement et d'accomplissement de Chakrasamvara auprès de Pabongkha Rimpoché17. Puis, à l'occasion du Nouvel An de 1917, Pabongkha Rimpoché, Tagphu Dordjé Chang et Sang Youm Rimpoché se réunirent à l'ermitage de Chuzang et inaugurèrent la nouvelle année en faisant un Lama Chopa et en offrant un torma à la Déité Protectrice 'Dod-khams Dbang-mo. Puis, Tagphu Rimpoché retourna à nouveau à son monastère à Nags-shod.18. Peu de temps après, Pabongkha Rimpoché se rendit dans le Kham où il visita Tagphu Rimpoché.

Tagphu Rimpoché donna alors plusieurs enseignements dont des enseignements sur le Lam Rim Chenmo, le Lama Chopa, une explication profonde sur le Gourou Yoga du Ganden Lhagyama, une explication tirée de son expérience sur le Chemin Facile du Lam Rim. Il donna un grand nombre d'initiations de permission, dont l'initiation du Gourou tirée du cycle des sadhanas du Second Dalaï-Lama. Puis, en 1918, alors que Pabongkha Rimpoché était toujours présent, Tagphu Rimpoché donna toutes les initiations de Vajravali et Kriyasamuccaya selon la tradition d'Abhayakara. Tagphu Rimpoché donna également un enseignement selon les instructions pratiques (dmar khrid) sur le Lam Rim de la Voie Rapide. Alors qu'il donnait une initiation sur les Cinq Déités d'Hérouka, le Mahasiddha Ghantapa Yab Youm lui apparut et il répondit à ses questions. Une autre fois, alors qu'il effectuait un tenshuk selon les Cinq Déités d'Amitayus de Mitrayogin pour Pabongkha Rimpoché, Tagphu Rimpoché vit que Mitrayogin était venu en personne et qu'il bénissait la vie de Pabongkha Rimpoché. Tagphu Rimpoché rédigea des requêtes adressées aux vies précédentes de Pabongkha Dordjé Chang intitulées Vaidurya Mala qui illustrent les vies précédentes de Pabongkha Rimpoché. Finalement, Pabongkha Rimpoché écrivit, à la demande de Tagphu Rimpoché, un ouvrage consacré à Mahakala aux Quatre Faces Jaunes avant de partir19.

Depuis longtemps, le personnage de Dordjé Shougden avait été inséparable de Pabongkha Rimpoché, comme l'ombre l'est du corps. Au cours de l'année de l'Oiseau de Fer (1921) et plusieurs fois auparavant, Dordjé Shougden était entré dans le corps d'un médium pour demander à Pabongkha Rimpoché d'écrire un nouveau rituel de consécration de la vie20. Pabongkha Rimpoché rédigea d'abord une ébauche de ce rituel, mais il le trouva inadéquat de sorte qu'il remit cette ébauche à Tagphu Rimpoché en lui précisant en détail ce qu'il désirait. Plus tard, Tagphu Rimpoché se rendit à la Terre Pure de Toushita où il reçut cette initiation de Djé Tsongkhapa et Dulzine Dragpa Gyaltsen21. Lorsque Pabongkha Rimpoché se rendit à Nags-shod en 1935, il reçut la suite de cette initiation de Tagphu Rimpoché (voir plus bas). Le manuel s'intitule 'jam mgon bstan srung yongs gyi thu bo mchog/ rdo rje shugs ldan srog dbang zab mo'i tshul/ byin rlabs rin chen phung po 'dren pa yi/ yid ches nor bu'i shing rta zhes bya ba bzhugs so et il incorpore les textes de Pabongkha Rimpoché et de Tagphu Rimpoché. Pabongkha Rimpoché compléta le manuel alors qu'il se trouvait au monastère de Dagom Rimpoché22.

En 1923, Tagphu Rimpoché s'est à nouveau rendu dans le Tibet central. À cette occasion, alors que Tagphu Rimpoché et Pabongkha Rimpoché se trouvaient dans la grotte de Takten, un grand nombre de dakinis revêtant des formes agréables vinrent les accueillir et ils virent en vrai le jnanakaya de Chakrasamvara au plafond de la grotte. Puis, Pabongkha Rimpoché exécuta un tenshuk pour la longue vie de Tagphu Rimpoché. À cette occasion, la grotte se transforma en un mandala immense et complet avec toutes ses caractéristiques et activités qui n'a rien à voir avec l'espace étroit qu'on peut voir aujourd'hui. À cette occasion, le champ de mérite de l'offrande de tsog ne fut pas une représentation peinte, mais il fut plutôt composé d'êtres de sagesse réels. Sortant de l'assemblée, le Conquérant Dromtonpa s'avança et dit : « Fils, Padmavajra, cette extraordinaire expérience de félicité survient dans votre continuum à cause de votre guide spirituel, votre lama. C'est pourquoi on doit toujours le respecter et lui rendre grâce en lui faisant des offrandes ». Dromtonpa fit également des prophéties sur des événements spécifiques et généraux, bons et mauvais, qui devaient arriver dans le futur que Tagphu Rimpoché prit soin de noter23.

À l'âge de 43 ans, Tagphu Rimpoché s'était rendu à Gsang-rdzong E-wam Lcog où il rencontra Bshad-sgra Srid-blon. À l'âge de 46, il y restaura un collège consacré au mantra secret (gsang sngags dpal gyi sgrub sde)24. En 1926, Pabongkha Rimpoché alla à Nags-shod dans le Kham où il visita ce nouveau collège et rencontra à nouveau Tagphu Rimpoché. Comme le lui avait demandé Tagphu Rimpoché, Pabongkha Rimpoché donna un enseignement à partir de son expérience sur le Lam Rim à un groupe de plus de 600 personnes, ainsi qu'une initiation de longue vie à l'assemblée du collège. Pendant ce séjour à ce collège, Pabongkha Rimpoché termina l'écriture et la révision de son long rituel d'exaucement dédié à Dordjé Shougden intitulé Le Tambour Mélodieux qu'il avait entrepris un an ou deux auparavant25. Au cours de cette période, Tagphu Rimpoché et Pabongkha Rimpoché demeurèrent ensemble pendant une longue période au cours de laquelle ils purent échanger sur leurs expériences intérieures. Ils accomplirent tous deux des cérémonies de tenshuk pour l'autre pour enlever les obstacles de leur vie26.

Pabongkha Rimpoché rencontra Tagphu Rimpoché pour la dernière fois en 1935 à Nags-shod. Au cours de cette rencontre, il demanda à Tagphu Rimpoché de terminer les sections non présentées de l'enseignement sur les Quatre Annotations combinées sur le Lam Rim Chenmo, des étapes de l'initiation sur la courte lignée du Protecteur Dordjé Shougden ainsi que d'autres enseignements27. Mais, auparavant, Pabongkha Rimpoché donna, au nouveau collège tantrique déjà mentionné, une explication et la transmission orale des Trois Principes de la Voie de Djé Rimpoché. Il institua également à cette occasion la cérémonie d'offrande à Djé Rimpoché pour le congé bouddhiste du Festival des Miracles. Par la suite, Tagphu Rimpoché donna les enseignements sur les parties non couvertes des Quatre Annotations combinées sur le Lam Rim Chenmo et la courte lignée de l'initiation du Protecteur des Gedens Dordjé Shougden28. En outre, Tagphu Rimpoché donna d'autres initiations et enseignements à Pabongkha Rimpoché sur le stag phu'i dag snang gsang ba bcu gsum.

Cette année-là, Tagphu Dordjé Chang, qui disait qu'il voyait beaucoup de dakinis arriver, mourut. Pabongkha Rimpoché écrivit une longue prière pour son retour rapide à cette occasion29. Ainsi, parce que la relation entre Tagphu Dordjé Chang et Pabongkha Rimpoché a été totalement pure, il en est résulté des accomplissements extraordinaires pour la doctrine et la sublime lignée de la tradition géden. En plus d'illustrer le fait que des expériences de libération authentiques ne peuvent découler que de la force d'une pure relation maître-disciple, ces bénéfices dépendent également de plusieurs autres facteurs comme les prophéties des yidams, les ordres des protecteurs et demandes des disciples. Toutes ces choses ont laissé des empreintes subtiles (bag chags) dans le continuum mental du yogi Tagphu Rimpoché qui a été capable d'accomplir ce qu'il a fait grâce à ses expériences découlant de ses grandes réalisations lorsque les causes et les conditions adéquates ont été favorables.

La dernière visite de Pabongkha Rimpoché à Tagphu Padmavajra en particulier a marqué non seulement l'aboutissement de leur relation, mais également celle de la pratique de Dordjé Shougden. Bien que la plupart des aspects de cette pratique aient été précédemment standardisés, on a assisté à la genèse de la pratique telle qu'elle a été octroyée par Jamgon Lama Tsongkhapa lui-même. De même qu'Arya Asanga a pu voir Maitreya et voyager à Tushita quand il a atteint la perfection de la méditation, de même l'octroi de cette pratique à partir de Tushita, véritable prototype divin de la lignée terrestre de la lignée géloug, a été accompli par le sublime yogi Tagphu Padmavajra. Comme Asanga, il est parti avec un but et il est revenu avec un dharma qui est devenu une lignée essentielle.

Voici, selon la liste des initiations obtenues par Pabongkha Rimpoché(pha bong kha pa'i gsan yig las rjes gnang skor phyogs gcig tu bkod pa, œuvres complète, volume 2, page 69), les détenteurs de la lignée de l'initiation de Dordjé Shougden de Tagphu Rimpoché :

  1. Jampel Nyingpo (Djé Tsongkhapa)
  2. Dulzine Dragpa Gyaltsen
  3. Tagphu Padmavajra
  4. Dechen Nyingpo

Tel est l'ordre des maîtres apparaissant dans cette section du champ de mérite de Dordjé Shougden ci-dessous :


1 rgya bod du byon pa'i bstan 'dzin gyi skyes bu dam pa rnams kyi tshan tho bzhugs so

2 Chapter 15 of Avatamsaka Sutra

3 TBRC Person RID: P336

4 TBRC Work RID: W7556

5 Denma Lobsang Dorje. (2001). Rigs dang dkyil 'khor rgya mtsho'i khyab bdag heruka dpal ngur smrig gar rol skyabs gcig pha bong kha pa bde chen snying po dpal bzang po'i rnam thar pa don ldan tshangs pa'i dbyangs snyan zhes bya ba bzhugs so (Biographie officielle de Pabongkha Rimpoché). Mysore: Université monastique de Séra, page 110.

6 TBRC Person RID: P295

7 gar gyi dbang phyug bzhi pa'i 'khrul 'byams gsang ba'i lo rgyus rga can skor

8 Don rdor and bsTan 'dzin chos grags (1993), pp. 986-987.

9 Denma Lobsang Dorje (2001), p. 271.

10 Denma Lobsang Dorje (2001), pp. 271-273.

11 On verra plus loin que lors de leur dernière rencontre plusieurs décades plus tard Pabongkha Rimpoché demandera à Tagphu Rimpoché de terminer cette section. Cette omission résulte probablement de la création d'un « présage » d'affaire en suspend destiné à créer les conditions pour rencontrer à nouveau son maître.

12 Denma Lobsang Dorje (2001), pp. 273-274.

13 Denma Lobsang Dorje (2001), pp. 274-275.

14 Denma Lobsang Dorje (2001), pp. 276-277.

15 Don rdor and bsTan 'dzin chos grags (1993), p. 987.

16 Denma Lobsang Dorje (2001), p. 332.

17 Denma Lobsang Dorje (2001), p. 332.

18 Denma Lobsang Dorje (2001), p. 337.

19 Denma Lobsang Dorje (2001), pp. 339-347.

20 Denma Lobsang Dorje (2001), pp. 375.

21 Guru Deva Rinpoche (1984), pp. 555-556.

22 Guru Deva Rinpoche (1984), pp. 567.

23 Denma Lobsang Dorje (2001), pp. 381-383.

24 Don rdor and bsTan 'dzin chos grags (1993), p. 987.

25 Denma Lobsang Dorje (2001), pp. 422-423.

26 Denma Lobsang Dorje (2001), p. 429.

27 Denma Lobsang Dorje (2001), p. 627.

28 Denma Lobsang Dorje (2001), p. 631.

29 Certaines sources soutiennent qu'il serait mort en 1922 contrairement à ce que dit la biographie de Pabongkha Rimpoché. L'année de 1935 pour la mort de Tagphu Rimpoché est également corroborée par le témoignage de Rolf Alfred Stein dans le livre Recherches sur l'épopée et le barde au Tibet à la page 332, où on peut lire : « Une biographie de barde reçue d'un informateur de Kalingpong (secrétaire du gouvernement de Lhasa) confirme ces relations et répète en certains thèmes la légende kalmouke sur l'origine du barde.
Le barde en question était originaire de Nag-çod dans le Khams. Il avait d'abord été berger (lug-rji). Un jour, alors qu'il faisait paître ses moutons dans la montagne, il vit en rêve un homme rouge en armure et beaucoup de héros (dpa'-bo) de Glin. L'homme lui dit qu'il ne devait pas rester berger, que l'épopée (le sgrun) risquait de se perdre, qu'il devait s'y consacrer et que, pour cela, il devait aller voir le lama sTag-phu rin-po-che (qui aurait vécu dans le Nag-çod et serait mort vers 1935). Le berger obéit, et le lama, qui avait su à l'avance qu'il viendrait, le reçut. Il lui donna l'initiation (dban-bkur) et lui apprit des prières qui l'aident chaque fois à entrer en transe. Mais de son comportement nous parlerons plus loin. »/p>